Décembre 2016, un train de l'Italie arrive en gare de Brig. Avertis par les contrôleurs CFF (chemins de fer fédéraux) sur simple délit de faciès, deux douaniers sont à l'affût sur le quai. Ils attendent deux noirs suspects qui se trouvent dans le même wagon que moi. Alors que nous quittons le convoi, un des acolytes est juste à mes côtés. Tandis qu'un douanier court en sa direction, je lui demande : « qu'est ce que tu veux faire ?» «do you speak english ?» a-t-il juste le temps de me répondre et alors, sans aucun contrôle et sous les yeux des autres passagers, les douaniers rudoient les deux indésirables et les menottent. Devant cette scène inhumaine, désolé, je leur lance alors «welcome to Switzerland Guys, we are all with you».
Je suis ensuite aussi menotté, enfermé dans un cachot, fouillé, ainsi que mes bagages en mon absence, déshabillé, questionné, puis transféré dans un véhicule grillagé (toujours menotté) et questionné cette fois par la police.
Sans jamais les avoir avant rencontré, je suis accusé d'avoir aidé ces réfugiés à entrer illégalement en Suisse. Condamné en première instance à 60 jours de prison avec sursis et 300 francs d'amende, je fais donc recours. S'en suit, une longue procédure jusqu'au procès où je suis finalement innocenté faute de preuve, 7 mois plus tard.
A noter encore qu'à part quelques mots d'anglais, les douaniers ne parlent que leur dialecte. «Hier rät man oberwalisertütsch», que m'aboie un petit roquet la main posée sur son arme, la crosse flanquée du drapeau au treize étoiles (drapeau du canton du Valais). De plus, toute la procédure, les lois mêmes, m'ont été communiqué en allemand uniquement, mes demandes de traduction restant veine. C'est uniquement au procès à Viège, que j'ai droit à une traductrice, très mauvaise par ailleurs.
N'ayant d'avocat, je m'y défends seul. «Si on a des problèmes en souhaitant la bienvenue à quelqu'un, je vous rends mon passeport», ultime tentative pour convaincre ces fonctionnaires féminines acariâtres et antipathiques.
Avant de les quitter, je teste encore : «dans ce pays, on est donc encouragé à dénoncer des gens sans aucune preuve et moi je suis jugé pour les avoir aidé, sans aucune preuve». Haussement d'épaule de la procureure...
Avec du recul, on a toujours une vision plus juste de la situation. Les Justes, c'est d'ailleurs ainsi qu'on appelle les personnes ayant désobéi aux règles absurdes durant la première moitié du vingtième siècle.
Peut-être ici encore une preuve que l'histoire se répète. Et l'espoir que mes bourreaux seront un jour jugé pour avoir arrêté des êtres humains qui ont pour seul tort d'être nés dans une dictature, un pays en guerre ou en déchéance économique et qui ont fauté en souhaitant quitter le chaos et l'insécurité sans papier...